Je voulais devenir pilote car j’aimais voyager. La séparation n’était pas aisée car je devais me retrouver seule dans un pays étranger où je ne connaissais personne. Mais pour tous les efforts de la famille TOURE il fallait que je réussisse.
Je me nomme Raïssa DIALLO, j’ai 15 ans et je suis en classe de 3ème dans une école publique à Djibo. Nous y vivons depuis longtemps avec ma famille composée de mon père, ma mère et mes 04 frères et sœurs. Je vis avec un handicap qui m’oblige à marcher en position courbée car je souffre du genou gauche depuis l’âge de 4 ans. Mais cela ne m’a pas empêchée d’être brillante sur le plan scolaire malgré le fait que j’étais l’objet de railleries à l’école et au quartier. Je m’étais fixée pour objectif de réussir ma vie. Pour cela, je pouvais compter sur le soutien incommensurable de toute ma famille. Oui, mon père étant éleveur n’hésitait pas à vendre ses bêtes pour me scolariser. J’étais son seul enfant qui était allé loin à l’école. Ma mère ménagère, n’hésitait pas à m’épargner de certaines tâches ménagères pour me permettre de bosser. Mes frères et sœurs me soutenaient moralement et me protégeaient lorsqu’on voulait me brutaliser dehors.
Pendant les congés de fin d’année, ma douleur au genou gauche s’est accentuée et les produits que j’avais l’habitude de prendre ne m’aidaient plus autant. Je me suis rendu dans la capitale (Ouagadougou) pour plusieurs examens médicaux. Finalement, je devais subir une intervention chirurgicale qui allait me guérir définitivement. Le médecin m’avait néanmoins prescrit d’autres anti-douleurs le temps pour moi de finir l’année scolaire et pour mes parents de réunir la somme demandée. J’étais tellement heureuse à l’idée de devenir « normale» après cette opération. Je travaillais davantage pour ne pas décevoir mes parents et décroché mon BEPC (Brevet d’Etudes du Premier Cycle) avec brio. J’étais hélas loin de me douter que ma joie allait être de courte durée. Dans la nuit du 10 février 2018, aux environs de 3h du matin notre village fut attaqué par des hommes armés non identifiés.
Lorsqu’ils ont fait irruption dans notre maison, j’étais aux toilettes qui étaient assez éloignés de la cour familiale. C’est de là que j’entendis les cris de détresse de ma famille et des voisins. Chance ou malchance ? je ne sais quoi dire. J’ai eu la vie sauve en restant cachée, accroupie, apeurée et tétanisée face à ce drame. Mais que pouvais-je faire pour les sauver ? Rien, j’étais seule face à une centaine de personnes lourdement armés. Après leur départ, j’ai découvert les corps sans vie des miens, la douleur était atroce ! Je me suis effondrée, pleurant à chaudes larmes. Je me croyais dans un film d’horreur. La désolation se ressentait dans tout le village. Pleurs par-ci, cris et lamentations par-là. Alertés par nos cris, ces individus ont rebroussé chemin dans le but de finir ce qu’ils avaient commencé.
J’ai ramassé quelques effets et avec les autres survivants nous avons pris la fuite pour nous réfugier dans la brousse. Pendant plusieurs jours, nous nous sommes cachés dans la brousse avant de prendre la route pour nous réfugier finalement à Kaya. Le voyage était vraiment pénible. Ma douleur au genou devenait de plus en plus vive, insupportable. Des personnes de bonne volonté m’épaulaient heureusement pour m’aider à marcher. Une fois dans la ville de Kaya, on a été pris en charge après avoir été enregistrés sur la liste nationale des déplacés internes. Là, nous avons été installés dans des camps. Nous étions logés sous des tentes. Nous avons reçu vêtements chauds, couvertures, eau, nourriture…un confort que nous n’avions plus depuis belle lurette. Dépaysée, assisse au milieu de nulle part, la réalité me rattrapa. J’étais maintenant orpheline, sans frères et sœurs et, de surcroît, handicapée. Quel malheur ! Le ciel me tombait sur la tête pensais-je. Mon avenir était hypothéqué, et mon examen ? surement à l’eau. Sans acte de naissance, sans cahiers de cours, sans argent mais surtout sans école, comment faire pour passer mon examen ? J’étais vraiment démoralisée.
Quelques jours plus tard, un service d’assistance psycho-sociale de l’Etat nous a reçu individuellement. Ils voulaient qu’on leur parle de notre expérience traumatisante dans le but de nous aider à panser nos plaies et à aller de l’avant. Mais comment ? Était-ce vraiment possible ? La douleur était si vive. Allaient-ils ressusciter nos défunts proches ? nous aider à communiquer avec eux une dernière fois ? les enterrer dignement peut-être ? Ma raison me répondait Non ! je ne voyais donc pas l’intérêt de cet échange. Ma rage contre ces hommes qui avaient détruit nos vies n’aidait point. J’ai plus tard su que ces individus étaient nommés terroristes par certains, et forces du mal par d’autres. La deuxième appellation me parlait plus. Et oui, car ils endeuillaient beaucoup de familles de jour en jour et le nombre de déplacés internes ne faisait que s’accroître. Ils venaient de partout totalement démunis et désemparés. L’Etat, à travers les forces de défense et de sécurité semblait avoir beaucoup de mal à les combattre. Avec le temps et le suivi de l’équipe d’assistance psycho-sociale, j’ai eu le courage de pardonner à ces hommes pour pouvoir avancer et vivre pour mes proches défunts.
Voici déjà 6 mois que j’étais à Kaya, et ma santé se dégradait de jour en jour car privée de tout traitement depuis un mois déjà. L’équipe médicale qui nous avait pris en charge n’arrivait pas à me fournir ses spécialités qui coutaient extrêmement chères. Je me contentais donc des calmants qui ne m’aidaient que pendant 2h de temps au maximum. Marcher était devenu un véritable exploit pour moi et mes chances de guérison étaient pratiquement inexistantes. Dans ce chaos contre toute attente, une lueur d’espoir s’offrait à moi.
L’équipe médicale m’informa que l’ONG (Organisation non gouvernementale) humanitaire Morija voulait installer un Centre Médico-Chirurgical (CMC) à Kaya pour prendre en charge les personnes en situation de handicap. Avec l’aide du gouvernement en 2 mois il recevait déjà leurs premiers patients. Je fus prise en charge et l’intervention chirurgicale fut un franc succès. J’ai ensuite subi une séance de rééducation pendant 3 mois. Je marchais enfin normalement et surtout sans douleur. Quel bonheur ! J’étais vraiment reconnaissante. Ils venaient de m’offrir cette seconde chance. C’était le plus beau cadeau de fin d’année que je recevais, la santé. Malheureusement ma joie de vivre fut estompée par des enlèvements d’une dizaine de déplacés internes par ces forces du mal le 2 janvier 2019 aux environs de 2h du matin. Ce fut la panique générale une fois de plus, nous étions obligés de quitter ce camp car ces individus menaçaient de revenir nous déloger de force. Contraints à la fuite, on marchait sans destination exacte.
Après plusieurs semaines, nous arrivâmes à Ouagadougou. Tous les camps de déplacés internes étaient pleins à craquer. Un camp non officiel a donc été créé à la périphérie de la capitale pour nous accueillir. Vivre dans un camp non officiel c’est-à-dire non reconnu par les services étatiques était une double peine. Nous ne bénéficions pas de programme d’aide institutionnel, national ou international. Nous étions comme invisibles aux yeux de tous, à la merci de nos détracteurs. Nombreux sont ceux d’entre nous qui ont préféré trouver refuge au Mali (entre 20 et 25000 Burkinabè), au Niger (entre 12 et 15000 Burkinabè demandant l’asile), au Nord du Bénin (entre 4000 et 5000 burkinabè) et au Nord de la Côte d’Ivoire (5000 Burkinabè). Beaucoup de jeunes Burkinabè risquaient aussi leur vie dans la méditerranée pour chercher l’asile dans les pays européens. Nous autres avions décidé de rester dans ce camp et de nous battre pour survivre. Nous vivions dans une précarité alarmante mais grâce aux dons des habitants environnants du camp, l’espoir était permis. Cette générosité de leur part nous réconfortait énormément. On se sentait considéré à nouveau, épaulé dans cette pénible épreuve.
J’étais contrainte de trouver des petits boulots. Aide-restauratrice, blanchisseuse, aide-ménagère etc…je les enchainais pour un revenu de misère. Il y a des jours même où on me refusait ma paye du fait de mon statut de déplacée. Oui ce statut me collait à la peau une malédiction. Mais que pouvais-je faire contre eux ? Rien, je n’avais personne pour me protéger, j’étais comparable à une rose abandonnée en plein désert. Comment pouvait-elle survivre dans un biotope hostile à sa croissance ? Malgré toutes ces difficultés il fallait que je vive car j’étais toujours confiante que tout ira bien pour moi un jour. Certaines femmes du camp se rendaient souvent dans les camps officiels de la capitale et ramenaient des vivres pour nous, leurs enfants. J’ai donc décidé de les suivre un jour. Arrivé dans ce camp, je m’alignai comme elles pour recevoir les vivres. Quand ce fut mon tour, je leur donnai mon nom et leur expliqua ma situation. Ils m’ont dit que ces vivres étaient réservés aux déplacés internes enregistrés et qu’il fallait suivre une longue procédure qui pouvait durer des mois pour être répertoriée. J’étais faible donc je suis restée là le temps de souffler avant de reprendre la route. Lorsque je m’apprêtais à partir, je fus interpellé par l’un des hommes chargés de distribuer la nourriture. Quand je m’y rendis il me fit savoir qu’il était prêt à me donner quelques vivres en échange de rapports sexuels consentis avec lui.
J’étais choquée et je voulais l’injurier lorsqu’il me fit savoir que presque toutes les femmes de notre camp le faisaient pour se nourrir et nourrir leurs familles. Je n’avais que 15 ans presque 16 et je n’étais qu’une gamine, mineure, toujours vierge. Comment pouvait-il me faire une proposition si indécente ? Lui étant un homme responsable d’une trentaine d’années, marié de surcroît et surement père. Il me promettait qu’il fera tout pour que mon nom soit répertorié le plus vite possible et que j’aurais à manger chaque jour grâce à lui. J’étais tellement faible et affamée que j’ai dû accepter sa proposition malgré moi. Ce fut la pire journée de ma vie car je ressentais des douleurs atroces au niveau du bas ventre après l’acte, je saignais également et il m’apporta des serviettes hygiéniques plus des vivres et me somma de partir. J’avais du mal à marcher et je pleurais en rentrant. Arrivé au camp je tombai gravement malade et je fus soignée par les femmes âgées du camp, avec l’aide et la générosité de la population environnante.
Une fois guérie une dame qui avait eu vent de ma mésaventure me proposa de venir travailler chez elle en tant qu’aide-ménagère. Je serai nourrie et logée pour faire ses travaux ménagers et m’occuper de ses 2 enfants de bas âge. Elle me proposa également un salaire de 25.000 francs par mois qui allait s’améliorer avec le temps si je travaillais bien. J’avais mon espace à moi toute seule, car je dormais dans une dépendance à l’extérieur de la maison familiale. Elle était mariée mais son époux travaillait dans une ONG dans une zone à risque. Elle travaillait également en tant que sage-femme dans un centre hospitalier de la capitale. Je l’appelais Madame et elle par mon prénom Raïssa. J’ai commencé à travailler pour elle en juin 2019. Tout se passait bien car Madame était gentille avec moi et ses enfants étaient adorables. Elle me payait régulièrement, me soignais quand je tombais malade. Elle me donnait souvent de l’argent pour mes petites dépenses en plus de mon salaire. J’avais retrouvé des couleurs, moi qui était si maigre après ma maladie.
Comme je m’exprimais bien en français Madame a cherché à connaitre mon histoire et je lui ai tout raconté dans les moindres détails. Elle me regarda avec compassion et disparut dans sa chambre. Le lendemain elle me demanda si je désirais continuer mes études je lui ai repondu que c’était mon rêve. Mais avec les travaux ménagers, les enfants et surtout les gardes qu’elle faisait souvent au service, comment allions-nous procéder ? Elle m’a dit qu’elle allait y penser. L’année tirait vers sa fin et les préparatifs pour les fêtes de fin d’année se passaient bien. Monsieur Touré, l’époux de Madame lui fit la surprise en venant fêter avec nous. Madame était tellement contente de le revoir qu’elle organisa une petite fête en invitant leurs amis, parents et voisins le week-end suivant. C’était vraiment des retrouvailles car il communiquait rarement avec ses proches, travaillait énormément et mettait sa vie en danger en venant en aide aux personnes vulnérables touchées par les attaques terroristes. On les menaçait souvent et ils étaient obligés de se réfugier dans les villages environnants pour revenir après. Certains de ses collègues furent enlevés par ces fameuses forces du mal. Monsieur TOURE était médecin et travaillait dans une ONG américaine en tant que contractuel.
Le lendemain, Madame me fit appeler pour me présenter à son époux et lui expliquer ma situation. Son époux me demanda si j’avais un acte de naissance et une pièce d’identité. Je lui ai dit que j’avais ma pièce d’identité mais que je n’avais pas eu le temps de prendre mon acte de naissance car mon père le gardait. Il m’a dit qu’il s’en occuperait et qu’il prendrait attache avec les responsables de l’ONG pour demander une bourse d’étude pour ma scolarisation jusqu’en Terminale. J’étais tellement heureuse que je pleurais tout en les remerciant, oui c’était des pleurs de joie. Après les fêtes de fin d’année, Monsieur TOURE rejoignit son poste en janvier 2020 et mon acte de naissance fut établi en fin janvier. La procédure pour la bourse d’étude, quant à elle pris du temps car c’est finalement en Avril 2020 que j’ai obtenu la bourse.
Comme l’année tirait vers sa fin, Madame pris des répétiteurs dans différentes matières pour moi, photocopiait les cours des élèves de 3ième pour me permettre de passer le BEPC en candidat libre. Pour me permettre de bosser, Madame embaucha une autre servante qui dormait avec moi. Quand j’avais du temps libre je l’aidais souvent. Tout était mis en œuvre pour que je réussisse à mon examen. Madame s’est chargée personnellement de déposer mon dossier de candidature. Les épreuves débutèrent le 22 juillet 2020 avec les matières littéraires pour finir avec les matières scientifiques. En 03 jours, la composition était déjà finie et le quatrième jour était réservé à l’oral d’anglais. Après l’examen, je pris 02 jours pour souffler avant d’aider la nouvelle servante dans les travaux ménagers et avec les enfants. L’attente fut longue et inquiétante car chaque jour qui passait je revoyais les petites erreurs que j’avais faites lors de la composition.
Pendant ce temps la situation sécuritaire se dégradait de jour en jour. Le nombre de morts augmentait de même que le nombre de déplacés internes, chaque 2 semaines un autre drame se produisait dans différents villages au Nord, au Centre-Nord et à l’Est du pays. L’Etat essayait tant bien que mal de soutenir les forces de défense et de sécurité nationales pour lutter contre ces forces du mal. Mais hélas l’ennemi était de taille. Ils étaient lourdement armés, entrainés à tuer sans foi, ni loi. La communauté internationale nous soutenait avec des dons multiples de tout genre. Beaucoup d’ONG se sont implantées au pays pour venir en aide. l’ONG humanitaire Morija, les ONG locales comme le CISC (Collectif contre l’Impunité et la Stigmatisation des Communautés) ou l’ONG américaine dans laquelle Monsieur TOURE travaillait, le HCR (Haut-Commissariat de Nations Unies pour les Réfugiés). Les pays limitrophes et occidentaux nous venaient aussi en aide. Les attaques persistaient et les deuils nationaux étaient décrétés fréquemment en hommage à ces hommes et femmes qui perdaient la vie.
Le 14 Août 2020, j’étais dans mon centre de composition pour la proclamation des résultats, j’étais tellement stressée. Par la grâce divine et mon travail acharnée, je réussis au BEPC avec une moyenne de 15/20. J’étais tellement heureuse que je courus informer madame sur son lieu de travail. Elle informa Monsieur TOURE qui me félicita aussi. Comme j’étais forte en Mathématiques j’ai choisi de faire la Seconde D, Première C et Terminale C toujours avec le soutien de mes bienfaiteurs. J’étais devenue comme leur fille adoptive et leurs enfants étaient comme mes frères et sœurs que j’avais perdus. Je venais de trouver une nouvelle famille qui m’avait accueilli et redonné la joie de vivre et j’étais vraiment reconnaissante pour cette opportunité. J’obtins le BAC (Baccalauréat) C, 3 ans plus tard avec la mention très bien.
Monsieur TOURE déposa mes dossiers un peu partout pour l’obtention d’une bourse d’étude internationale. Quelques jours plus tard j’avais plusieurs propositions de bourses dans différents pays et je choisis finalement la bourse française. Je quittai le pays et mes bienfaiteurs pour la France pour mes études universitaires. Je voulais devenir pilote car j’aimais voyager. La séparation n’était pas aisée car je devais me retrouver seule dans un pays étranger où je ne connaissais personne. Mais pour tous les efforts de la famille TOURE il fallait que je réussisse. L’espoir fait vivre, oui j’ai cru à un avenir meilleur et me voici aujourd’hui étudiante dans l’une des grandes Universités en France. Qui l’aurai cru ? Mon avenir est tout tracé maintenant et rien ni personne ne pourra m’empêcher de réussir car je suis plus que déterminée. La rose abandonnée en plein désert est devenue une rose qui croît normalement dans son biotope.
THE END